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À quoi ressembleront nos nuits du futur ?
À l’occasion des Rencontres de l’éclairage raisonné organisées par RAGNI en octobre dernier, les professionnels de la lumière ont partagé leur vision de la nuit du futur. Tous expriment une même conviction : les technologies, les nouveaux usages de l’espace public et le changement climatique vont modifier notre regard sur la nuit. Nos nuits du futur seront plus actives, bénéficiant d’un éclairage modulaire au plus près des usages.

A quoi ressembleront nos nuits de demain ? Couple observant le ciel au Chilie © Oscar Gutierrez Zozulia
À chacun sa nuit ! L’éclairage du futur sera démocratique.
L’éclairage public change de cible. Pour penser le futur, faisons un détour par le passé : Roger Narboni (concepteur lumière ayant notamment fondé l’agence CONCEPTO) rappelle lors de la conférence que l’éclairage d’ambiance extérieur est récent : « lorsque j’ai commencé dans les années 1980, l’éclairage piétonnier n’existait pas, il y avait seulement l’éclairage fonctionnel destiné à éclairer les voiries ». C’est aujourd’hui l’inverse, le piéton devient le centre de la nuit. Il est certain que les normes évolueront d’ailleurs dans cette logique. En effet, la EN 13201 a été pensée selon la hauteur d’œil d’un conducteur installé dans une voiture, à une époque où l’automobile dominait l’espace public. Or la perception de la lumière est très différente selon la modalité de déplacement, comme l'explique la thèse menée par Laure Lebouc au CEREMA consultable en lien. Aussi, réviser la EN 13201 en fonction de la perception d'un piéton permettrait de diminuer les niveaux lumineux préconisés actuellement.
Par ailleurs, si la voiture possède un éclairage embarqué, ses phares, le piéton, lui a besoin d’être éclairé : c’est cette généralisation d’un éclairage selon les besoins, à la demande que mettent en valeur les intervenants. Ces pratiques existent déjà, portées par une démarche d’économie ou de trame noire. Il peut s’agir d’allumer l’éclairage public avec son smartphone à Pont-de-l’Arche avec l’application « j’allume ma rue », d’un bouton-poussoir installé sur un mât (parc de Pratgraussal à Albi, projet de l’agence ON cité dans l'ouvarge Conception lumière et mise en œuvre des trames noires au Moniteur) ou d’une simple détection de présence. Ces pratiques encore innovantes vont se banaliser - l’éclairage du futur sera « démocratique » grâce à sa connectivité.

Allumer sa rue avec son téléphone © application J'allume ma rue
Night is the new day. Nous vivrons plus fort après le coucher du soleil.
Le réchauffement climatique est en train de faire évoluer les rapports des sociétés à la nuit, en particulier dans les grandes villes très étouffantes lors des canicules. Ainsi, Roger Narboni et Nicolas Houel (concepteur lumière et fondateur de L’Observatoire de la nuit) imaginent que le lien social se tissera davantage la nuit, car les citadins attendront que le soleil se couche pour trouver la fraîcheur et profiter de l’espace public. La Ville de Paris a déjà anticipé ce besoin en ouvrant depuis 2024 un certain nombre de parcs jusqu’à minuit et Nantes Métropole propose régulièrement à ses habitants de dormir dans ses jardins et notamment dans les serres du Jardin des plantes. Dans cette perspective, penser dès aujourd’hui l’éclairage public des espaces verts apparaît fondamental, afin de concilier usages nocturnes dans les îlots de fraîcheur et limitation des impacts sur la biodiversité.
Plus largement, la renaturation de la ville change la manière d’éclairer. Ainsi, Roger Narboni rappelle qu’autrefois les 2/3 des éclairages urbains étaient implantés en façade. Or l’irrégularité volontaire des aménagements urbains actuels, marqués par le végétal, condamne totalement ce type d’urbanisme. Ainsi, la question se pose : pourquoi viser in fine l'uniformité lumineuse si on éclaire pour le piéton ?

Les serres du Jardin des plantes à Nantes © MGPhotos
La nuit d’abord. Penser la ville nocturne avant la ville diurne.
Si le temps nocturne actif gagne en importance, les aménagements urbains seront davantage conçus pour le temps nocturne, laissant la possibilité à de nouveaux matériaux lumière de s’exprimer. Alors quels sont les matériaux lumière du futur ? La bioluminescence peut faire rêver : les perspectives 3D représentant des arbres capables d’émettre de la lumière à la nuit tombée, nimbant la rue d’un doux halo bleuté, sont poétiques. Néanmoins, ces images ne renvoient pour l’instant à aucune réalité et les intervenants ne considèrent pas ce matériau comme une piste d’avenir, ils pointent en revanche les perspectives ouvertes par la phosphorescence. Les concepteurs lumière détournent depuis plusieurs années la fonction première de la peinture phosphorescente pour l’installer dans des environnements où il n’est pas possible ou pas souhaitable d’installer des éclairages publics, dans une démarche de trame noire (sur ce sujet, voir l’article de Prismes La peinture phosphorescente : une alternative à l’éclairage urbain ?). Cette utilisation reste marginale, le jugement esthétique de ce blanc éclatant un peu trop voyant de jour l'emportant aujourd'hui sur la fonction nocturne. Mais dans une perspective d'inversion de l'importance entre le jour et la nuit, les priorités des urbanistes pourraient radicalement changer.
Retrouvez l’intégralité des débats sur https://www.ragni.com/rencontres-de-l-eclairage-raisonne-2-eme-edition/


Motifs réalisés à la peinture phosphorescente dans le square du Temps des Cerises, Île-Saint-Denis ©Concepto
Motifs à peinture phosphorescente en cours de réalisation dans le square du Temps des Cerises, Île-Saint-Denis ©Concepto
Le point sur le vocabulaire de la lumière...
EN 13 201 : La norme NF EN 13 201 est le document incontournable concernant la photométrie en éclairage extérieur. C’est une norme d’application volontaire, mais elle s’applique bien à toutes les parties lorsqu’elle est citée dans un contrat ou un cahier des charges. Cette norme fixe les minimums et les maximums des performances photométriques à atteindre en fonction des typologies d’espaces. L’analyse d’un certain nombre de facteurs (vitesse de circulation, types d’usagers, intensité du trafic, luminosité ambiante) permet ainsi de déterminer une classe d’éclairage à appliquer.
Trame noire : Sur le modèle des trames vertes et bleues, la trame noire désigne un réseau écologique propice à la vie nocturne. La pollution lumineuse a de nombreuses conséquences sur la biodiversité. La lumière artificielle nocturne possède en effet un pouvoir d’attraction ou de répulsion sur les animaux vivant la nuit (trameverteetbleue.fr). L’expression « trame noire » a plusieurs sens, puisqu’elle désigne autant le réseau écologique en lui-même que la volonté de limiter les nuisances lumineuses dans ces espaces. L’idée de la trame noire n’est pas nouvelle. De nombreux concepteurs lumière ont proposé aux collectivités dès le début des années 2000 de réduire les éclairages extérieurs, en particulier dans les zones sensibles, et d’apprivoiser l’obscurité, y compris en ville. Avec la prise de conscience des enjeux écologiques et les annonces gouvernementales d’un retour à la sobriété, l’expression « trame noire » s’est imposée depuis quelques années, jusqu’à devenir quasiment connue du grand public.
Bioluminescence : La bioluminescence est la production et l’émission de lumière par un organisme vivant via une réaction chimique par certains organismes vivants, comme les lucioles, les vers luisants, ou une majorité d’organismes marins.
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