Identité urbaine : Comment l’éclairage public donne du style à la ville.

Comment l'éclairage public peut-il devenir un élément esthétique symbolisant l'identité d'une commune de jour comme de nuit ? Très présent visuellement, l’éclairage public est paradoxalement le grand oublié des projets d’urbanisme : on dessinera plus souvent les détails d’un banc ou d’un arceau pour vélo que d’un mât de 8 mètres. Pourtant, l’éclairage public peut devenir synonyme de sentiment de sécurité et même de fierté d’un territoire. Personnaliser une lanterne ou un mât pour styliser le mobilier, comment faire ? Combien ça coûte ? Rencontre avec le concepteur lumière Lionel Bessières, de l’agence Quartiers Lumières qui travaille à renforcer l’identité territoriale de nombreuses villes et villages de France, grâce à l’éclairage, dans le respect des cultures locales.

Personnaliser un mât ou une lanterne, comment faire et combien ça coûte ?

Lionel Bessières : « en préambule, je dirai qu’en effet, la lumière urbaine peut participer grandement au sentiment de sécurité, bien sûr, mais également à un sentiment d’appartenance et de fierté. On peut travailler l'éclairage public en pensant lumière ou en pensant support et mobilier d’éclairage, même si les deux aspects sont intimement liés. Pour personnaliser un mobilier d’éclairage, il s’agit d’abord de trouver le juste équilibre entre identité et sur identité, c’est là que le métier de concepteur lumière prend tout son sens. Les concepteurs lumière n’arrivent pas avec une position d’artiste sur un territoire, nous sommes généralement sollicités pour nous intégrer dans un contexte. Ainsi, dans un petit village traditionnel, on ira davantage vers l’intemporalité et la simplicité, dans une recherche d’identité « naturelle », alors qu’ailleurs, un style plus affirmé sera nécessaire ».

Melles (Deux-Sèvres), c’est la fabrique de monnaie locale qui a inspiré le dessin du motif pour la lanterne ALUCA de COMATELEC. Conception lumière et crédits @Quartiers Lumières

Travailler autour des produits catalogue et ajouter des éléments décoratifs.

Il est souvent possible, sur la base de produits catalogue, de penser autour de ceux-ci des développement ou ajout de « décors » ou accessoires spécifiques. Plusieurs fabricants proposent des customisations de lanternes via des découpes laser, des ajouts de filtres ou de la création de support spécifique à partir d’assemblages de profils standard. Cette approche peut être considérée comme la plus simple et la plus « durable » puisqu’un produit catalogue doit « normalement » permettre un remplacement en cas de panne ou casse sur le long terme. L’agence Quartiers Lumières s’inspire par exemple souvent de l’identité et l’histoire du territoire pour dessiner un motif qui ait du sens, mais qui soit aussi réversible. Ainsi, « si on se lasse un jour de cette personnalisation ou si un changement politique l’exige : il suffira de dévisser le cache de la lanterne. Partir d’un produit catalogue permet aussi de s’inscrire dans une perspective de durabilité ».

Personnaliser des lanternes

À La Mothe-Saint-Héray dans les Deux-Sèvres (photo de gauche), le motif a été travaillé à partir des dentelles des coiffes traditionnelles portées dans le village. À Layrac dans le Lot-et-Garonne (à droite) l’agence Quartiers Lumières a fait ajouter des caches sur une lanterne quatre faces intemporelle . Lanternes catalogue personnalisées COMATELEC. Conception lumière et crédits @Quartiers Lumières

Mais il suffit parfois d’ajouter simplement une crosse personnalisée pour faire raisonner le style d’une lanterne avec l’architecture environnante.

La crosse de la lanterne AIRA de SELUX a été retravaillée en acier corten pour s’intégrer parfaitement à l’architecture du lieu dans ce passage couvert de Pau (Pyrénées atlantiques) Conception lumière et crédits @Quartiers Lumières

Le prix de ces personnalisations ?

Une lanterne personnalisée reviendra généralement à deux fois le coût d’une lanterne basique

Pau, exprimer l’identité des différents quartiers

À Pau, nous sommes allés plus loin dans la personnalisation d’un produit catalogue, en transformant une colonne lumineuse en lanterne stylisée. Pour le quartier ancien du Hédas, nous souhaitions en effet proposer une lanterne avec un style médiéval. Nous avons utilisé la tête lumineuse d’une colonne que nous avons tout simplement "coupée", puis personnalisée, introduisant un effet « flamme » à l’intérieur » par simple ajout d’une pyramide métallique colorée. Pour compléter l’éclairage public, des mâts retravaillés pour être supports de végétation ont été ajoutés.

Quartier médiéval du Hédas à Pau (Pyrénées atlantiques), colonne Phylos COMATELEC transformée en lanterne sur façade et mâts TECHNILUM support de végétation. Conception lumière et crédits @Quartiers Lumières

Par ailleurs, l’agence a également investi le centre-ville, en dessinant un motif spécial pour la place de la Reine Marguerite, inspiré de la mode au XVII ème siècle. Ce motif se retrouve sur les lanternes, sur les grilles avaloir, ainsi que sur la projection lumineuse de la fontaine centrale, créée par un projecteur à gobo, installé discrètement en façade d’un bâtiment.

Place de la Reine Marguerite à Pau (Pyrénées atlantiques), des appliques lumineuses BEGA ont été réhaussées d’un cache travaillé. Conception lumière et crédits @Quartiers Lumières

Customiser des mâts

« Pour le nouveau parc de l’arrière-base sous-marine à Bordeaux, nous avons pensé l’éclairage public comme un support de convivialité. À partir d’une certaine heure, l’éclairage public s’éteint. L’agence Quartiers lumières a proposé de retravailler la colonne piétonne SHUFFLE de COMATELEC pour permettre de continuer à accompagner les usages nocturnes dans le parc. En gravant du PVC à l’intérieur de la lanterne, on obtient un effet semblable aux ampoules à imitation filament qu’on trouve dans tous les salons et les restaurants aujourd’hui. Cette partie filament reste allumée, donnant aux mâts un aspect de veilleuse dans le parc. De plus, nous avons ajouté sur les mâts un bouton-poussoir qui permet de déclencher l’éclairage public pour des parties de pétanque nocturnes . Certains mâts sont même porteurs d’une table et de crochets pour accrocher les mallettes à boules et les compteurs de points ». Allumage pour bientôt !

Un autre moyen astucieux de créer une identité est de travailler un objet lumière visible de jour comme de nuit, à l’image du projet de l’agence Scène Publique sur la place d’Italie à Paris où des « tuteurs de lumière» sont conçus comme des mikados revêtus d'une finition en tôle inoxydable, brillante et polie jusqu’à devenir un miroir.

Place d'Italie à Paris. Conception lumière Scène publique crédits © Philippe Ruault

Mais il faut rappeler que cette démarche de design doit être accompagnée des professionnels de la lumière. Ainsi, Lionel Bessières précise « le risque ; c’est que le concept se démode rapidement. Les concepteurs lumière veillent à garder cette élégance pour que l’objet reste durable dans le temps ».

Transformer l’éclairage public en œuvre d’art

À la frontière entre l’art urbain et l’éclairage, le mobilier porteur de lumière peut également devenir une création complète, brisant ainsi les codes. On peut ainsi penser aux sculptures lumineuses de l’artiste catalan Jaume Plensa, devenues le symbole de la place Masséna à Nice.

Pour le font de mer de Calais, l’agence de conception lumière ON, a porté une image forte : depuis 2022, 49 mâts de 12 mètres en forme de flambeaux accueillent fièrement les visiteurs. Des mâts pensés pour réduire les nuisances lumineuses et s’allumer en fonction du vent. Une identité visuelle puissante qui accompagne désormais la ville.

Et bien sûr il est possible de s’appuyer sur les ressources locales. Comme le rappelle Lionel Bessières « la personnalisation d’un mobilier d’éclairage représente une formidable opportunité de valoriser les savoir-faire locaux : des artistes peuvent être sollicités pour le volet créatif, comme des ferronniers d’art pour la dimension technique et artisanale des éléments décoratifs ».

Les conditions de réussite de la personnalisation du mobilier d'éclairage public

Personnaliser un mobilier d’éclairage requiert toujours un certain temps et exige une budgétisation fine. En outre, quelques conditions sont à rappeler :

-proposer une identité durable et adaptée au projet et qui sera surtout accepté par les usagers sur le long terme,

- trouver des fabricants capables de porter le projet et de fournir la disponibilité qu’exigeront les nombreux allers-retours entre la collectivité, la maîtrise d’œuvre et les équipes techniques,

- échanger et faire confiance aux concepteurs lumière qui sont missionnés pour concevoir et accompagner la mise en œuvre des projets.

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