
Tous les mois la lumière se réfléchit dans une infolettre
« Le frein majeur au déploiement du solaire, c’est la manière dont les appels d’offres sont structurés »
Jacques Gouteyron a dirigé Aubrilam durant 36 ans, une entreprise spécialisée dans la fabrication de mâts d’éclairage éco-conçus en bois lamellé-collé. En 2014, il change radicalement de cap et se lance dans une nouvelle aventure : il fonde Nowatt, des appareils solaires au design travaillé, pensés pour s’intégrer aux projets architecturaux et paysagers. En 2023, Nowatt est acheté par Fonroche Lighting, un rapprochement logique entre deux acteurs de l’éclairage solaire.
Parcours, regard, réalités du monde industriel… Pour ce Prismes spécial solaire, Jacques Gouteyron a accepté de nous livrer sa vision de l’éclairage urbain.


Le plot solaire Crystal, vendu partout dans le monde © Nowatt
Parc à Saint Paul Mont Penit (85) éclairé par des bornes solaires OKO en bois de Nowatt. Conception Lumière : SYDEV © Fonroche Lighting.
Comment passe-t-on de producteur de mâts bois à concepteur d’appareils d’éclairage solaire high-tech ?
JG : J’avais déjà une sensibilité à la question du développement durable en tant que fabricant de mâts en bois. J’ai d’ailleurs créé le tout premier mât solaire en France en 2007, baptisé Volta, en collaboration avec le concepteur lumière Roger Narboni. A l’époque personne n’y croyait. Il s’agissait d’un très beau produit que je n’ai néanmoins pas développé à grande échelle chez Aubrilam, car je pressentais que cela coûterait très cher. Cette idée du solaire m’a donc longtemps habité, mais je voulais pousser plus loin cette démarche. C’est pourquoi j’ai pris la décision de créer Nowatt.

Mât bois Volta solaire © Aubrilam
Comment s’est opéré le rapprochement avec Fonroche Lighting ?
JG : J’ai constaté que nous étions limités dans le déploiement de Nowatt, j’avais besoin de m’appuyer sur une vraie puissance industrielle. Il faut comprendre qu’il est extrêmement complexe de produire un appareil solaire abouti, beaucoup plus complexe que ce que j’avais imaginé. Un appareil solaire ne se dessine pas comme un appareil filaire, la moindre modification de design exige de repenser entièrement le produit : le coût de la matière grise, les coûts en recherche et développement sont énormes, jusqu’à 50 % du coût de revient d’un produit. Le solaire, c’est une science avec une forte compétence informatique et électronique ! C’est là que réside la différence majeure entre les mâts bois, mon ancien domaine, et le solaire.


J’avais donc besoin de me rapprocher de Fonroche Lighting pour gérer efficacement l’électronique qui se trouve à l’intérieur des appareils, et plus particulièrement le management des batteries. Manager des batteries relève d’une complexité inimaginable ! Fonroche Lighting a investi des millions d’euros pour fabriquer leur « power room », soit un dispositif qui permet de recréer les conditions climatiques extérieures — températures, intempéries, ensoleillement — de manière à visualiser le vieillissement des batteries et donc d’expliquer aux fournisseurs les adaptations techniques à mettre en place pour les rendre plus performantes. De plus, grâce à leur système de monitoring innovant, la moitié des produits Fonroche Lighting installés dans le monde est connectée avec l’usine d’Agen, ce qui permet de diagnostiquer en temps réel les pannes et solliciter une intervention humaine sur place.
Quant à moi, j’ai apporté à Fonroche Lighting mon expertise en design et lumière. Le mariage entre Nowatt et Fonroche, c’est l’alliance d’un Lilliputien du design et d’un géant industriel, nous sommes complémentaires.
En ce moment, tous les produits Nowatt sont en train d’être redéveloppés pour pouvoir garantir nos appareils d’éclairage jusqu’à huit ans. La nouvelle avancée sortira à l’automne 2025.
Parc à Saint Paul Mont Penit (85) éclairé par des bornes solaires OKO en bois de Nowatt. Conception Lumière : SYDEV © Fonroche Lighting.
Borne solaire OKO 36 de Nowatt © Fonroche Lighting.
Quid de l’impact environnemental des batteries ?
JG : L’analyse de l’impact environnemental est à distinguer du recyclage. Le recyclage répond à une norme européenne. Ainsi les batteries plombes, une vieille technologie sont recyclées à 95 % par des organismes spécialisés dans ce domaine. Avant même le recyclage, il faut en premier lieu se demander quel est l’impact environnemental d’un mât solaire par rapport à un mat filaire. À l’époque de la création du mât Volta, j’avais réalisé une étude* financée par l’ADEME pour être en mesure de comparer : à ma grande surprise, cette étude a montré que l’impact d’un mât se situe essentiellement dans la tranchée qui permet d’alimenter le mât filaire, soit environ 70 % de l’impact environnemental. Le mât filaire, une fois installé, a donc largement plus d’impact qu’un mât solaire. Depuis 2006 les progrès des performances des mats solaires augmentent encore cet écart.
* Mât d’éclairage Volta 2 - Établissement du profil environnemental : rapport produit par O2 France pour Aubrilam, juillet 2006.
Quels sont aujourd’hui encore les freins au développement du solaire ?
JG : Pourquoi les collectivités ne se tournent-elles pas davantage vers l’énergie solaire ? Le frein principal réside dans la structuration même des appels d’offres. En effet, lorsqu’on répond à un appel d’offres, le chiffrage est toujours structuré de la même façon : le matériel d’éclairage est chiffré dans le lot éclairage, et le coût d’installation de ce matériel est chiffré au sein du lot VRD. La version filaire paraît donc forcément plus avantageuse que les mâts solaires plus chers à l’achat (même si cet écart n’existe presque plus) , car les coûts d’installation des appareils filaires, les tranchées, sont noyés dans le lot VRD et souvent impossibles à extraire. Par conséquent, la proposition en solaire apparaît plus coûteuse en coûts d’investissement, elle est donc difficile à défendre auprès des maîtrises d’ouvrage, y compris pour les concepteurs lumière. Il faudrait chiffrer les projets en coût global, que le lot éclairage englobe également les coûts d’installation VRD, pour donner toutes leurs chances aux solutions en solaire. Cette pratique est d’ailleurs courante dans le secteur privé : les parkings de résidences ou de commerces sont de plus en plus souvent éclairés avec des mâts solaires. Je suis convaincu qu’il serait judicieux d’envisager l’installation de panneaux solaires dans environ 30 % des projets, ce qui représente une augmentation significative par rapport au taux actuel d’environ 5 %.
Néanmoins, les mentalités ont beaucoup évolué ! La ville d’Agen vient de passer à presque 100 % d’énergie solaire. Pour l’instant, la ville a divisé par trois sa facture d’électricité. Quand tous les mâts seront installés, la facture sera pratiquement nulle, soit 1,5 million d’euros d’économie par année.
Des infos, des conseils, des idées, retrouvez l'infolettre PRISMES tous les mois, pour un tour d’horizon des enjeux contemporains de l’éclairage urbain.
S'abonner aux infolettres PRISMES
